Quand le voile dévoile l’ombre collective
A l’instar du World Hijab Day initié par une jeune musulmane américaine en 2013, qui connaît un succès mondial, un groupe d’étudiants de Sciences Po Paris a organisé récemment une journée où chacun était invité à se couvrir d’un voile, distribué à l’entrée de l’établissement, afin de sensibiliser à la stigmatisation dont sont victimes les femmes voilées en France et susciter une réflexion sur la tolérance ou le respect de la différence. Cette initiative a suscité une véritable levée de boucliers, tant dans la presse que sur les réseaux sociaux, très éloignée du principe de tolérance cher à Voltaire et dont le traité du même nom a pourtant connu un regain de succès après les attentats de Paris. Où est cette France fraternelle qui a manifesté sa solidarité avec les musulmans juste après les attentats ?
En fait, ceux qui s’expriment majoritairement dans les médias sur la question du voile représentent la France qui a peur, menée par quelques intellectuels réactionnaires. Ils ne sont pas les porte-paroles de la pensée dominante, mais ce sont eux qui crient le plus fort, quitte à étouffer d’autres voix et surtout celle des premières concernées : les femmes musulmanes voilées. Lorsqu’on écoute ces dernières, loin de correspondre aux clichés de la femme soumise qui subirait la tyrannie des mâles et d’une religion arriérée – d’ailleurs en quoi la subiraient-elles davantage que la femme occidentale aux tenues moulantes ou dénudant la plus grande partie de son corps ? – on découvre des personnes aussi libres que chacun de nous peut l’être, qui privilégient la vie intérieure et la spiritualité aux diktats de la société/religion de consommation marchande.
A l’heure où Londres vient d’élire un maire musulman – rappelons que les pays anglo-saxons, même si le racisme y existe comme partout ailleurs, ont intégré la multiculturalité dans leur identité – la France devrait s’interroger sur cette part d’ombre qui nie les Lumières dont elle se revendique par ailleurs. Soutenir une pureté culturelle au nom d’une identité nationale, ne recèle-t-il pas les mêmes dangers que défendre une pureté raciale ? Alors que notre voisin allemand soigne cette blessure en ouvrant ses frontières à l’altérité, ne devrions-nous pas nous interroger sur notre frilosité ? Selon les spécialistes, nous ne sommes qu’au début de flux migratoires importants. Aujourd’hui leur origine est économique et politique, demain elle sera aussi climatique ou issue d’autres types de catastrophes probables. Demain, nous serons tous brésiliens, c’est-à-dire mélangés …pour le plus grand bien de notre évolution.
Publié le : 11/05/2016