Une amitié à trois est-elle possible ?
Bien avant la découverte des neurones miroirs qui en sont le fondement scientifique, le philosophe René Girard avait décrit les mécanismes du mimétisme qui sont à la base de tout désir, voire, selon lui, de toute action humaine qui est toujours entreprise en fonction d’un modèle que l’on cherche à imiter. Notre propre désir naît et se nourrit du désir des autres, non de l’intérêt pour l’objet lui-même. Celui qui est en possession de l’objet désiré étant renforcé dans son désir par le désir de l’autre, ce jeu de miroirs conduit inévitablement au conflit. Ainsi, tout « triangle » est source de violence en ce qu’il génère jalousie, envie et haine.
Transposé sur le plan des interrelations humaines, ce mécanisme mimétique laisse-t-il une chance à une relation harmonieuse à trois ou plus ? Peut-on éviter voire guérir la blessure narcissique qui surgit presque inévitablement lorsque l’être aimé, l’ami(e) partage avec un(e) autre la même intimité ou complicité ? Cette question, à laquelle la psychologie n’apporte pour le moment aucune réponse satisfaisante, intéresse surtout ceux qui mènent une recherche spirituelle exigeante incluant une collaboration juste de groupe, et qui se trouvent souvent déstabilisés lorsqu’ils sont confrontés aux difficultés qui se présentent.
La racine universelle inconsciente de ces difficultés est clairement exposée dans les enseignements ésotériques : la trame psychique/éthérique dans laquelle évolue actuellement l’humanité forme un dessin en carrés, fondé sur la relation à deux – le carré enferme la psyché dans les limites de l’ego. Concrètement, cela se traduit, par exemple dans la vie sociale entre amis, qu’un couple invitera toujours un autre couple pour partager des activités, rarement une personne seule qui représente une menace inconsciente ; dans la rue, le couple se tient par la main « contre » le monde entier, etc. Esotériquement, pour parvenir à des relations plus fraternelles et libres, ce dessin en carré (la matière, l’ego) doit être remplacé par un dessin en triangles (l’esprit).
Certains y travaillent par des méditations réunissant subjectivement trois personnes. Ceux qui relèvent le défi sur le plan physique sont fréquemment confrontés à une forme ou une autre d’attraction non souhaitable du « deux » qui créée une dissonance plus ou moins importante dans l’harmonie du groupe et diminue voire annihile son efficacité concernant ses objectifs. Comment transcender cette attraction – car il s’agit bien de la transcender – est un défi spirituel qui mobilise toutes les ressources des participants. Mais les réalisations les plus difficiles ne sont-elles pas celles qui contiennent les germes les plus précieux du futur?
Publié le : 25/11/2015