Sans cœur, pas de raison ?

Quelle part joue notre esprit rationnel dans nos prises de décisions, dans nos choix ? Plus grand monde, depuis les chantres de l’homo oeconomicus, ne croit que la raison à elle seule aurait le pouvoir d’évaluer de manière sûre où se trouve notre intérêt parmi les choix qui s’offrent, ni même que nous nous référons à elle pour prendre une décision importante. Que nous hésitions entre plusieurs voies professionnelles ou plusieurs partenaires possibles, la raison à beau nous présenter tous les avantages de l’option x, elle ne fera jamais le poids si une force plus profonde nous fait pencher vers le choix y, même si nous pressentons que ce dernier ouvre sur une voie semée d’embûches. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, disait-on autrefois.

Il est intéressant de remarquer que le mot « cœur » a quasiment été balayé du vocabulaire de notre époque hyper scientiste – on parle plus volontiers d’intelligence émotionnelle -, lui qui désignait au Moyen Âge la totalité de notre être, l’âme sous tous ses aspects, à la fois raison, sensibilité, volonté et mémoire. Avec le développement de l’intellect, la raison s’est séparée de cette totalité pour suivre son chemin propre, entraînant toutes les autres qualités avec elle. Nous nous sommes séparés de nous-mêmes, et dans le même élan du cosmos. Du moins dans notre conscience ordinaire. Car il suffit de circonstances exceptionnelles comme une mise en danger ou encore se trouver acculé à devoir solutionner un problème qui dépasse les capacités de la seule raison pour que notre connexion à cette totalité réintègre pour un temps le champ de notre perception.

Comment renouer consciemment avec le cœur et par là-même, avec notre âme ? Certains philosophes, comme Michaël Foessel, nous invitent à vivre pleinement les chagrins de la vie, accepter la tristesse lorsque nous sommes confrontés à une situation de perte plutôt que d’obéir à l’injonction dominante de « faire le deuil », ce qui signifie en réalité rétablir des conditions psychologiques antérieures afin de redevenir rapidement productif pour la société par l’acceptation de la perte. Une histoire bouddhiste raconte qu’un jeune disciple était si profondément attristé de la mort de son maître qu’il s’est mis à chercher partout des signes de son âme, dans le vent, la pluie, les arbres, le moindre sourire qu’il croisait. Et il devint un très grand sage.

Publié le : 03/02/2016

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