Lettre ouverte d’un agnostique à un jihadiste
Mon cher frère… je t’appelle ainsi, non qu’il y ait en moi la moindre trace de compréhension envers tes actes d’un autre âge – où l’inquisition avait un autre visage – mais au nom d’un précepte qui m’est cher, issu de la culture que tu combats et que je vois comme l’un des fondements de cet humanisme occidental auquel je ne cesse de croire : « pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Si tes actes m’inspirent l’horreur, j’ai du mal à lire sur ton visage le mal absolu que pourtant tu incarnes, comme si ce dernier s’était emparé de ton innocence, de ta crédulité pour la retourner contre notre commune humanité.
Mon frère, tu nous dis « vous aimez la vie, nous on aime la mort ». Sais-tu seulement de quoi tu parles ? Comme tout agnostique, je ne suis pétri d’aucune certitude, ce qui ne veut pas dire que je suis sans imagination ou spéculations intellectuelles sur ce que pourrait être l’après de cet événement que nous nommons la mort. J’avoue être très intrigué par les nombreux récits d’EMI (expériences de mort imminente), surtout par cette perception commune qui revient dans tous les témoignages de pénétrer dans un monde d’amour. Les multivers de la physique quantique me font rêver. Si nous existons simultanément dans d’autres lieux de l’univers, la continuité de la vie –son impossibilité à être tuée – me semble alors une évidence, qu’importe de quelle autre forme, ou de non-forme, notre conscience se revêt.
Bref, sur la question de l’après-mort, je me sens plus proche d’un scénario comme celui du film Ghost – que sans doute tu ne connais pas puisque pour toi le cinéma, comme la musique ou le rire, relèvent de Satan -, où la personne, juste après le choc de la « mort », se relève, aussi conscient qu’avant, et regarde en face ses amis comme ses ennemis – et là, je n’aimerais pas être à ta place. Mon frère, si paradis il y avait, et admettons qu’il existe en tant que lieu idéal dans l’un de mes multivers, j’en attendrais autre chose qu’une réplique démultipliée des plaisirs terrestres circonscrits à la nature animale de l’homme, ayant déjà connu des extases plus sublimes dans ce bas-monde, comme la joie d’être transporté par une musique « divine » ou celle d’un envol enivrant vers les cimes de la pensée, toutes ces choses qui rendent la vie infiniment précieuse, et que, par je ne sais quel génocide de l’esprit, tu méprises tant.
Publié le : 02/12/2015