La reconnaissance nous est aussi nécessaire que l’air que l’on respire
Ce n’est que relativement récemment dans l’histoire, précisément depuis Rousseau et l’essor de l’individualisme, que la reconnaissance* est admise comme un besoin fondamental et surtout légitime. Les sociétés traditionnelles, de l’Antiquité grecque à Montaigne, considéraient l’attente d’une reconnaissance comme une faiblesse que tout homme digne de ce nom se devait de surmonter.
Or on ne peut surmonter – « monter sur » pour voir plus loin – que ce qui a d’abord été reconnu, accepté et intégré. Le besoin de reconnaissance est un besoin ontologique, c’est-à-dire inhérent à la nature humaine. L’enfant qui ne serait pas reconnu dans son existence et ses demandes par ses parents ou leur substitut ne pourrait se développer normalement. De la naissance à notre mort, notre personnalité se construit et se développe grâce aux miroirs que nous tendent les autres.
La quête de reconnaissance prend ses racines dans notre incomplétude constitutive. Pour faire l’expérience de l’incarnation, notre âme a été arrachée de l’océan de vie telle une goutte d’eau qui se serait égarée dans un désert. Nous avons désespérément besoin du regard de nos semblables pour nous reconnecter à nous-même, c’est-à-dire à l’océan de notre humanité commune. Car notre identité repose sur un paradoxe : elle est à la fois individuelle et collective, ni exclusivement l’une, ni exclusivement l’autre.
La quête de reconnaissance est une quête sans fin, car comme le disait Freud non sans humour, « on peut tolérer des quantités infinies d’éloges ». Les sages de toutes les époques ont démontré qu’elle est source de souffrance et d’aliénation tant que nous ne savons pas la transcender. Mais transcender un besoin vital n’est ni le nier ni le refouler, cela signifie puiser sa satisfaction à une source autre, à commencer par ce que certains philosophes ont nommé l’Autre en soi, et qui n’est rien d’autre que notre propre conscience.
*Voir le dossier spécial de la revue « sciences humaines » consacré à ce sujet.
Publié le : 20/11/2013