Connaissez-vous l’histoire de Sem ?
Sem vit dans une petite bourgade située dans une vallée embrumée dans un pays qui pourrait être n’importe lequel dans notre contexte mondialisé, mais qui est surtout celui de Sem, celui ou règne la vie et la mort, qu’importe dans quelle langue ces deux principes ou pulsions sont pensés ou le plus souvent impensés. Car ils agissent surtout comme un tiraillement inconscient qui constitue un moteur pour Sem, tandis qu’il construit et détruit, croit et doute, se saisit des choses et les rejette. Sem est comme un poisson qui s’agite interminablement dans son bocal, sans aucune conscience qu’en-dehors de ce bocal un autre monde existe.
Pour se sentir « être là », Sem a besoin du regard des autres, de leur considération s’il y parvient, de leur rejet à défaut, car le pire pour lui serait d’être invisible. Aussi déploie-t-il une énergie considérable soit à « réussir » ou à briller dans un domaine ou un autre, soit à se faire remarquer par des actes répréhensibles pour ses congénères, selon les influences extérieures qu’il subit. Notre Sem a du mal à accéder au bonheur car il est le plus souvent instable et confus, ou à l’opposé, enfermé dans des habitudes si ancrées qu’il en devient aussi immobile qu’un rocher. Un jour, un homme « pas de chez nous », bref, un étranger, est entré dans le village de Sem, attirant les regards par son étrangeté même et le puissant magnétisme qu’il dégageait. Il se présentait sous le nom de Rigpa.
Sem, par une attirance qu’il ne pouvait s’expliquer, se confia à Rigpa, lui racontant toutes les innombrables raisons de son insatisfaction et de son mal-être. Rigpa lui parla alors de son pays, situé au-delà des neiges, où le soleil ne se couchait jamais, où les notions de vie et de mort étaient dénués de sens car seul y existe l’éternel présent. La joie y est permanente, l’amour et la beauté sont des substances qui imprègnent toutes choses et la souffrance y est inconnue. Après l’avoir d’abord écouté, subjugué, Sem eut un mouvement de rejet : « ce que tu me racontes là est trop beau pour être vrai, cela ne peut être que mensonges. » Non seulement il se détourna de Rigpa, mais répandit dans tout le village la rumeur que l’étranger était un fou dont il fallait se garder. Avec regret et une certaine tristesse, Rigpa quitta le pays de la vie et de la mort qui ne voulait pas voir sa lumière.
Avez-vous reconnu nos deux protagonistes ? Sem est le nom donné par les tibétains à l’esprit ordinaire, notre « moi » de tous les jours, tandis que Rigpa est le nom tibétain pour la conscience claire primordiale, l’esprit supérieur ou le Soi. Rigpa, même s’il a sa demeure propre dans une autre dimension, est aussi présent telle une étincelle cachée dans l’environnement embrumé de Sem et n‘aspire qu’à être reconnu. Mais ne nous comportons-nous pas le plus souvent comme Sem lorsqu’il frappe à notre porte ?
Publié le : 16/03/2016