Je est un autre
En quoi sommes-nous uniques ? Tous les penseurs qui ont tenté de répondre à cette question se sont d’abord heurtés à l’évidence de notre multiplicité ontologique : de nombreuses identités (ce à quoi nous nous identifions) cohabitent en nous, sans compter ce que Freud a nommé les pulsions, ces forces étranges qui s’emparent soudainement de nous comme si elles étaient des éléments extérieurs que nous devons apprendre à gérer.
Descartes nous a définitivement rassurés avec son fameux « je pense, donc je suis ». En effet, si nous sommes capables d’être conscients de ces multiples facteurs qui cohabitent ou s’affrontent en nous, si nous sommes capables de les nommer et donc de les penser, c’est qu’il existe en chacun de nous une instance centrale, qui serait à la fois observateur et acteur, à même de fédérer la multiplicité et de la canaliser dans une direction. L’individualisme est devenu la pierre d’angle de notre représentation du monde et nous revendiquons tous d’être pleinement libres et responsables de nos choix et convictions.
Mais l’individualisme reste un concept qui, lorsqu’il est poussé trop loin, est une illusion qui nous coupe des forces vives dont nous avons un besoin vital. Des penseurs tels que Nietzche, Marx ou Freud ont dénoncé l’illusion du « moi » isolé de Descartes qui existerait indépendamment de toute autre réalité, en faisant apparaître les multiples facteurs qui nous conditionnent.
Et que dire de ces témoignages de grands explorateurs ou de personnes qui ont fait l’expérience d’un isolement total dans la nature à la suite d’une catastrophe, qui tous rapportent, avec une lumière caractéristique dans les yeux, des expériences intérieures similaires : « tout à coup, en moi a surgi quelqu’un d’autre ». Les mystiques de tous temps ont abondamment parlé de cette Présence qui se révélait à eux, lorsqu’ils atteignaient le silence intérieur. Un autre « Je » ?
Publié le : 21/05/2014